[Windows 10] Le grand dilemme entre vie privée et confort d’utilisation

Tiraillés entre la protection de leurs données et l’envie de les conserver à portée de main, les utilisateurs sont souvent peu conscients qu’elles sont une ressource précieuse, et qu’ils les échangent contre des services de plus en plus poussés.

Grâce au multiplateforme, Windows 10 prend de plus en plus de place dans les foyers. © Fanny Betermier

Depuis 2015 et surement bien avant, Microsoft récolte presque toutes les données de ses utilisateurs. Contrairement à son concurrent Apple, qui reste évasif quant à ce qui est collecté ou pas, Windows est très précis sur ce qui l’est, en atteste leur déclaration de confidentialité : nom/prénom, adresse e-mail, paramètres de configuration des programmes et de l’ordinateur, historique et moteur de recherche, localisation, appels et SMS, contacts, données de paiement, centres d’intérêts, prédiction de texte et commandes vocales, etc. Pour les utilisateurs de Windows 10, tout y passe. Sur un ton clair, explicatif et enjoué, cette déclaration fait passer ce qui semblerait autrement alarmant, pour du confort, de l’avancée technologique, de l’innovation.

Tout ça se fait en toute légalité, puisqu’en étant aussi précis sur les données qui sont collectées, la firme de Redmond, près de Seattle aux États-Unis, respecte parfaitement la législation Européenne en la matière. D’autant plus qu’en installant la nouvelle version de Windows, l’utilisateur marque son accord avec les conditions d’utilisation, qu’il affirme avoir lues, même s’il ne le fait que très rarement. Pourtant, les conditions de la directive de protection des données de la Commission Européenne sont alors respectées. Le bébé de Bill Gates est ainsi juridiquement couvert. En France, ça n’a pourtant pas empêché la Commission Nationale de l’Information et des Libertés de mettre Microsoft en demeure de « cesser la collecte excessive de données et le suivi de la navigation des utilisateurs sans leur consentement » en juillet 2016. Une décision qui ne vaut pourtant que pour la France.

La plus grosse question que pose cette collecte massive de donnée est celle de la publicité ciblée. Selon la déclaration de confidentialité, les données rassemblées sont envoyées à Microsoft, ainsi qu’à ses collaborateurs pour améliorer ses services, mais aussi à des entreprises tierces afin de leur permettre d’envoyer des annonces personnalisées, en fonction de vos gouts. Même s’il affirme ne pas utiliser « ce que vous dites dans les e-mails, les discussions, les appels vidéo ou la messagerie vocale, ni vos documents, photos ou autres fichiers personnels pour vous envoyer des annonces ciblées », cela fait déjà une grande quantité de données. Il est bien entendu possible de désactiver la plupart des paramètres récoltant ces informations. De nombreux sites expliquent même comment faire pas-à-pas, mais il faut pour cela accepter de renoncer à toutes les fonctionnalités intéressantes du système, comme par exemple l’assistant vocal Cortana.

L’illusion du gratuit

Selon le Professeur Pierre Dupont, vice-doyen de l’École Polytechnique de Louvain et co-fondateur du Machine Learning Group de l’UCL « c’est le jeu de l’illusion du gratuit. On utilise de plus en plus de choses qui sont marketées ou crues par les utilisateurs comme gratuites, alors que rien ne l’est dans ce monde. Le prestataire de service doit s’y retrouver quelque part. » C’est le cas même pour Microsoft, pourtant troisième société ayant la plus grande valeur en bourse au niveau mondial. Alors à la sortie de Windows 10 en juillet 2015, la firme de Redmond a décidé de rendre la mise à jour de son système d’exploitation gratuite, pendant un an et pour les détenteurs de Windows 7 et 8.1. Le but était de ne pas se laisser dépasser par les traditionnels concurrents Apple et Google, qui proposaient déjà cette gratuité.

Alors comment continuer à faire entrer de l’argent dans les caisses sans faire payer le client ? En transformant le client, ou plutôt ses données, en produit. Et ils sont nombreux, puisque près de neuf ordinateurs sur dix dans la monde sont équipés d’une des versions de Windows. Attention, la collecte de données par Microsoft n’est pas nouvelle, elle était déjà présente sur la version précédente. Elle n’est pas non plus exclusive à la marque, puisque ses concurrents en font aussi usage. Redmond fait même plutôt bonne figure par rapport à ces derniers.

Du business et de l’innovation

Windows se justifie bien sûr par une amélioration constante de la performance et de l’intuitivité des programmes en fonction de la façon unique dont une personne utilise ses appareils. C’est notamment le cas de Cortana, qui s’adapte à son utilisateur au fil du temps. Et c’est précisément là que se situe la frontière entre les affaires et le progrès. « Ce sont des sociétés commerciales qui pensent à faire du profit », explique le Professeur Dupont, « ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’innovation. » Car l’assistant vocal apprend, en quelque sorte, grâce à l’évolution des méthodes de Machine Learning, et en particulier du deep learning.

Le deep learning, ou apprentissage profond, est une méthode d’intelligence artificielle basée sur un modèle en forme de réseau neuronal, c’est-à-dire des entités reliées entre elles ayant des impacts différents en fonction de leur valeur. Il fonctionne sur base d’une donnée d’entrée et d’un résultat attendu. Entre les deux, les relations entre les données d’entrée et les résultats sont analysées par un algorithme afin de se combiner pour modéliser le plus précisément ces relations. Le but est que la machine puisse, après une phase d’apprentissage supervisée par l’homme et sur base des données antérieures, arriver à déduire elle-même le chemin à parcourir en fonction de ce qui est recherché. Pour simplifier et comme l’explique Pierre Dupont, c’est comme quand on apprend à conduire : en s’entrainant sur un nombre limité de routes, le but est de pouvoir appliquer ce qu’on a appris pour conduire sur toutes les routes du monde.

Il ne s’agit pas d’une nouvelle technologie. Les fondements du deep learning datent des années 80, mais il n’a pu se développer fortement que très récemment parce qu’il est extrêmement gourmand au niveau des ressources de calcul des ordinateurs et requiert de très larges collections de données pour fonctionner. De telles performances, liées à celles des processeurs graphiques des ordinateurs, étaient jusqu’à présent très couteuses à atteindre et n’ont commencé à se démocratiser que récemment. Voilà pourquoi l’assistant vocal Cortana, une des raisons pour lesquelles Microsoft récolte les données, n’est apparu que sur la version mise à jour de Windows Phone 8.1.

En lui demandant simplement de programmer un rendez-vous avec quelqu’un, il doit comprendre et être capable d’aller vérifier les disponibilités de l’utilisateur dans son calendrier, mais aussi d’envoyer un e-mail à cette personne pour vérifier quand elle est libre, d’analyser sa réponse pour proposer différentes dates et enfin sauvegarder le rendez-vous dans son agenda. Pour le Professeur Dupont, « L’apprentissage est dans le fait de reconnaitre votre parole. Les systèmes de reconnaissance vocale sont initialisés avec un ensemble de locuteurs type, mais leurs performances s’améliorent s’ils deviennent plus spécifiques à un individu. Sur base de ce feedback reçu par l’utilisateur, l’algorithme d’apprentissage va ajuster le modèle et va permettre aux interactions futures de se passer de mieux en mieux. »

Un futur à portée de main

Toujours selon Pierre Dupont, cette technologie offre de nombreuses perspectives d’avenir dans le domaine de la vie quotidienne, notamment en domotique, c’est-à-dire les systèmes de contrôle des appareils domestiques à distance. Un avenir qui semble se rapprocher à une vitesse folle, puisque Microsoft travaille en ce moment sur le développement de l’assistant domestique HomeHub, afin de concurrencer Amazon et Google sur ce terrain. Microsoft dispose néanmoins d’un avantage sur ses rivaux : celui de pouvoir associer son propre système d’exploitation, un des plus répandus au monde, avec son assistant. Celui-ci devrait, comme ses concurrents, permettre de jouer de la musique à partir de différents logiciels et services de streaming, de répondre à des commandes vocales, de lancer des vidéos sur la télévision, de contrôler la lumière, le thermostat : en somme d’interagir avec tous les objets de la maison, pour peu qu’ils soient connectés. Le tout devrait, toujours grâce au deep learning, apprendre à connaitre son propriétaire.

Cette nouvelle évolution technologique ne laissera sans doute pas de répit à la collecte de données des utilisateurs, mais ils seront tout de même nombreux à accepter ces contraintes. Un choix qui surprend le Professeur Dupont. « Ce n’est pas un danger, mais il y a un risque d’ouverture sur des choses personnelles. Je suis assez frappé par le fait que beaucoup de personnes se déclarent parfois très choqués par le fait que leur vie privée puisse être violée et en même temps, ce sont les premiers à diffuser une grande quantité d’information personnelles et accepter tout ce qu’on leur propose sur un smartphone. » Et ça sera bientôt le cas pour toute leur maison.

Ce que Microsoft nous dit donc, c’est que nos ordinateurs, tablettes, smartphones et bientôt ampoules et frigo, qui interagissent entre eux pour nous rappeler qu’on a un rendez-vous, c’est le futur. En échange, il faut que nos appareils aient accès à nos données. Toutes nos données. Si par contre nous choisissons de décliner l’offre, de ne pas accepter le deal, et que nous souhaitons que notre Personal Computer reste personnel, alors Windows 10 ne devient rien de plus qu’un joli système d’exploitation tout à fait ordinaire.

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